Interview avec : Noémie Benayoun et Nathalie Brémond (ALCA Nouvelle-Aquitaine)

 

“Il arrive que les experts disent qu’ils n’aiment pas un projet par goût personnel mais, s’il y a un point de vue et que l’auteur et le producteur savent où ils veulent aller et le prouvent en commission, le projet peut convaincre. ”


 
 

Parmi les étapes importantes de la construction d’un film, on ne saurait oublier celle tant attendue de la présentation du projet à des organes de commissions. Producteurs et auteurs-réalisateurs montent des dossiers en vue de l’obtention d’une subvention régionale, nationale ou européenne.

Intervenant moi-même dans la présentation de ces dossiers lorsque j'accompagne des auteurs, j'ai toujours voulu comprendre ce qui se passait dans les coulisses de ces organes décideurs. Comment sont prises les décisions de soutien ? Quels sont les critères de sélection qui entraînent la réussite ou l’échec d’un projet en commission ? voici quelques-unes des questions que je brûlais d’envie de poser un jour !

Et puis ce jour est arrivé lors d’un mardi pluvieux dans le sous-sol bondé du Kursaal que les habitués du Festival de San-Sebastien connaissent bien. C’est là que Noémie Benayoun et Nathalie Brémond de l’ALCA (Agence Culturelle de la Région Nouvelle-Aquitaine) ont accepté de me rencontrer pour répondre à mes questions. 

Noémie est Chargée de mission Création et Initiative régionale et s’occupe de l'accompagnement des producteurs et des auteurs au sein du territoire aquitain. Nathalie, elle, est Chargée de missions long-métrage et fiction depuis deux ans auprès du même service. Quant à l’ALCA, voici le résumé des actions concrètes de l’organisme, dûment listées sur le site : “Agence du livre, du cinéma et de l'audiovisuel en Nouvelle-Aquitaine, ALCA tend à créer des synergies entre les filières de l'image et de l’écrit.” Elle propose ainsi des programmes impliquant les professionnels de ces filières créatives.

L’interview ayant été réalisée à l’oral avant d’être retranscrite, vous excuserez le style moins littéraire que de coutume et….  la longueur !  


Bonne lecture.

 

Estelle : Bonjour Noémie et Nathalie ! Merci à vous d’avoir accepté l’invitation. Sans plus attendre, je vous propose de plonger directement au cœur du sujet en m’expliquant les enjeux de l’Alca.

Noémie : La question que l’on se pose au sein de l’Alca, c’est de savoir : comment est-ce qu’on développe ou dynamise un territoire avec les gens qui y sont et ceux qui veulent y venir pour tourner, écrire, produire ? 

Estelle : De manière plus spécifique, quels sont les fonds de soutien et quels sont les types d’accompagnements que l’organisme peut proposer aux producteurs et aux auteurs ? 

Nathalie : Je pense qu’il faut distinguer les auteurs régionaux des auteurs non-régionaux. 

Les aides à la conception (écriture + documentaire) sont généralement réservés aux auteurs et producteurs régionaux. Les auteurs dits “non-régionaux” peuvent, dans certains cas, avoir accès au fond de soutien. Par exemple, un auteur qui n’est pas de la région peut déposer une demande d’aide à l’écriture sans production, notamment, si l’auteur non-régional a été aidé en production par l’Alca sur un court-métrage lors des cinq dernières années !  On encourage beaucoup le passage du court au long! L’auteur en question peut alors déposer un nouveau projet même si ce projet n’a rien à voir avec la Nouvelle-Aquitaine. Toutefois, il faut que le court antérieur ait été aidé en production par notre organisme entre autres. Par ailleurs, l’aide à l’écriture concerne seulement le long-métrage de fiction et d’animation,  le documentaire et le court-métrage d’animation.

Noémie : Oui, il n’y a pas d’aides à l’écriture sur le court-métrage de fiction. Classiquement, les aides au court interviennent au niveau de la production et l’aide est demandée par une société ou une association. Dans les régions, c’est plutôt rare qu’il y ait des aides à l’écriture pour le court-métrage de fiction.  

Nathalie : Au sujet des auteurs régionaux qui veulent passer du documentaire au long-métrage et effectuer un premier dépôt qui n'est pas au niveau de ce que l’on attend, il m’arrive de les renvoyer vers Noémie. Ils sont alors pris en charge pour des consultations.  

Noémie : Effectivement, dans le cadre du bureau d’auteurs et des projets, il nous arrive de mettre en place des séances de rendez-vous. On peut donner des premières réponses de positionnement, de stratégie, afin de savoir où on en est de son projet. 

Estelle : Vous parlez ici au niveau de l’écriture ?

Noémie : C’est surtout la notion de parcours qui nous intéresse globalement. Ça peut être un nouvel auteur qui arrive ou quelqu’un qui est là depuis longtemps mais qui change de trajectoire ou de producteur. Ça peut aussi concerner les producteurs qui ne font que du court et veulent passer au long. L’idée est d’aider auteurs ou producteurs à comprendre où ils en sont et à se dépatouiller parmi toutes ces aides, de mettre en place une stratégie aussi. Donc, oui, l’ALCA apporte plusieurs réponses…  On peut même aller jusqu’à du juridique et quand le projet est bloqué, on peut rémunérer une consultation ou deux sur un projet. C’est pour donner à voir ce qui fonctionne ou pas, aider au dépôt futur si le dépôt n’est pas loin.


Dans le cadre du bureau d’auteurs et des projets, il nous arrive de mettre en place des séances de rendez-vous. On peut donner des premières réponses de positionnement, de stratégie, afin de savoir où on en est de son projet.
— Noémie

Estelle : Imaginons que je sois productrice de films, que je sois établie hors de la région Nouvelle Aquitaine et porteuse d’un projet de court (ou de long par ailleurs). Est-ce que je peux venir toquer à votre porte et demander de l’aide ou un accompagnement ?

Noémie : Oui, mais il faut qu’il y ait du tournage, il faut trouver un lien au territoire. 

Estelle : Qu’est-ce que vous attendez par “lien au territoire” ?

Noémie : Le lien au territoire, ce peut être un auteur et/ou un producteur régional, du tournage, de la fabrication, des dépenses, un sujet. Il faut deux critères pour pouvoir déposer. Tout ça est bien expliqué sur le site. 

Estelle : Très bien, et, imaginons que je veuille produire un film qui ne se passe pas en région aquitaine, que la narration ne prenne pas en compte la région, est-il possible de venir tourner en Aquitaine — et donc de faire un dépôt de dossier — malgré tout ? 

Noémie : On a fait Paris à Bordeaux très souvent ! Eiffel, par exemple. Certains films n’ont pas d’identité historique, on peut aussi filmer à huis clos. On n’est pas obligé de voir les pins ou l’Atlantique (rires).

Nathalie : Non, non. Clément Cogitore a tourné son dernier film ici et l’intrigue se passe à Paris. Mais on ne peut pas déposer ce type de projet en demande d’aide à l’écriture à titre d’auteur non néo-aquitain. En revanche, si vous venez au stade de la production, il n’y a pas de souci. Par ailleurs, on accompagne aussi les projets à dimension internationale dès l’écriture. C’est important pour nous parce qu’on veut faire en sorte que notre tissu de producteurs soit partie prenante du projet et non des boîtes aux lettres. Par exemple, ils peuvent accompagner un projet international tourné au Vénézuela ou en Thaïlande et déposer des demandes d’écriture, de développement, de production. Il faudra qu’il y ait des dépenses mais ce sera au niveau de la post-prod. D’ailleurs, depuis ce dispositif, beaucoup de boîtes qui font de l'international se sont installées dans la région comme Les Valseurs ou des sociétés de post-prod. On peut quasiment faire un film de A à Z sur le territoire.


Estelle : Au-delà du soutien financier et du bureau des auteurs, vous proposez également un accompagnement en festival, en quoi consiste-t-il ?

Noémie : Sur notre territoire, on a déjà un certain nombre de festivals. Il nous arrive donc de  travailler avec des festivals locaux qui ont une ambition fiction, long-métrage. Par exemple, on travaille avec Biarritz Amérique Latine qui a eu lieu au mois d’octobre. Chaque année, on organise des journées professionnelles où des producteurs néo-aquitains, des auteurs, des diffuseurs et des distributeurs viennent. Lors de la récente édition, on a d’ailleurs mis en place une table ronde sur "coproduire avec les régions européennes à Biarritz”. Toujours au niveau régional, on travaille aussi avec le Poitiers film festival ou LE FIPadoc.  

On cherche également à travailler sur des festivals nationaux ou internationaux pour renforcer la dynamique et valoriser la région (et surtout valoriser ceux qui y travaillent). On a ce partenariat avec le programme de Coproduction Amérique Latine du Festival du Film de San-Sébastien, une délégation qui se rend à Berlin, on a monté Conecta fiction…  L’idée, c’est de lier des partenariats avec des marchés et  d’accompagner les producteurs en déplacement financièrement.  

Estelle : Je passe du coq à l’âne, mais puisque c’est au cœur des préoccupations des producteurs, j’aimerais savoir : quand et comment présenter les dossiers de demandes d’aides ?

Nathalie : Il y a 3 dépôts par an qui sont aux alentours de septembre, janvier et avril. Ce que je conseille à chaque fois, c’est de ne pas hésiter à contacter les chargés de mission en amont. On est là pour accompagner les producteurs qui veulent déposer chez nous ou qui cherchent des partenariats avec des producteurs locaux. On a deux films qui ont été déposés à la dernière session d’avril mais j’ai accompagné les réalisateurs et les producteurs depuis janvier !

Noémie : On s’efforce d’être accessibles ! S’épuiser à faire une demande au mauvais endroit, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux. Le fond reste un fond sélectif. Si on dépose, on ne peut pas re-déposer, ou il faut avoir une bonne raison de le faire.  


Ce que je conseille à chaque fois, c’est de ne pas hésiter à contacter les chargés de mission en amont. On est là pour accompagner les producteurs qui veulent déposer chez nous ou qui cherchent des partenariats avec des producteurs locaux.
— Nathalie

Estelle : C’est bon à savoir ! Puisqu’on parle des commissions, une question me brûle les lèvres. J’aimerais donc vous demander quels sont vos critères de sélection de projets ?  Privilégiez-vous certains sujets, certains genres ?

Nathalie : Ce sont nos experts qui s’occupent de ça mais quel que soit le sujet, la première entrée, c’est l’artistique. Il n’y a pas de sujets bannis sauf la pornographie, l’appel au crime et au racisme, etc. Et, étant tout à fait conscients des difficultés rencontrées par les producteurs français avec le cinéma d’auteur suite à l’arrivée des plateformes, on peut tout à fait aller vers un projet qui n’a pas de financement et être les premiers financiers parce qu’on sait que derrière, ça permet de déclencher d’autres choses. Ou alors, on peut aller sur des films un peu plus ambitieux en termes de budget mais qui ont un vrai ancrage chez nous. 

Estelle : Auteurs ou films à budget, tout type de projets peuvent être soutenus en somme.  

Nathalie : C’est ça. Au moment des auditions, les experts vont entrer plus en détails dans la configuration du projet, pointer ce qui ne leur semble pas cohérent, évoquer l’absence de dépenses. Un film peut être très beau, le scénario très beau mais le budget sembler bizarre. 

Le tout compte.


Estelle : Vous avez dit que l'artistique était l’un des critères d’entrée. Qu’est-ce le mot “artistique” veut dire pour vous ? Qu’est-ce qu’il cache ?


Nathalie : Beaucoup de choses mais surtout la cohérence du projet. Il arrive que les experts disent qu’ils n’aiment pas un projet par goût personnel mais, s’il y a un point de vue et que l’auteur et le producteur savent où ils veulent aller et le prouvent en commission, le projet peut convaincre. 


Noémie : Voilà, il faut des intentions et un point de vue d’auteur affirmé. Les auditions changent ce que l’on peut en savoir à l’écrit. 


Nathalie : Il est arrivé que les experts ne soient pas convaincus par un projet en sélection mais qu’ils aient quand même fait le choix de l’entendre. Puis l’auteur a été tellement brillant, tellement précis sur ce qu’il voulait faire, qu’il a fini par percevoir l’aide. Il ne faut surtout pas contenter le jury. Ça peut justement desservir les auteurs ou les producteurs. 


Estelle : Merci pour cette interview Nathalie et Noémie !

💫 Pour aller plus loin….

  • Visiter le site de l’ALCA.

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Estelle KonikCommentaire