Interview avec : Fanny Barrot (Ciclic, Sauve qui peut).

 

“Le critère d’appréciation le plus évident sera surtout la qualité générale du film” .


 
 

Cela fait quelques années, déjà, que Fanny travaille au sein de l’équipe du Festival International du court-métrage de Clermont-Ferrand (créé par l'association Sauve qui peut le court métrage), un festival pérenne dont la réputation mondiale n’est plus à prouver. Avant Sauve qui peut, Fanny a également passé de nombreuses années au sein de Ciclic, l’agence régionale du Centre-Val de Loire.

Au vu d’un tel parcours, vous comprendrez que je ne pouvais pas ne pas l’inviter à répondre aux questions qui depuis des années pullulent dans mon esprit d’accompagnatrice en écriture : quels sont les facteurs de réussite d’un scénario de court-métrage en commission ou en festival ? quelles sont les erreurs les plus courantes que scénaristes et metteurs en scènes commettent ?

Poussée par ma propre curiosité, j’ai donc pris rendez-vous avec Fanny, ce qui fait d’elle la première interviewée du blog.

Bonne lecture !

 

Estelle : Bonjour Fanny. Tout d’abord merci d’avoir répondu présente à cette interview. Je suis ravie de vous accueillir sur le blog ! En guise de préambule , j’aimerais que l’on s’attarde un peu sur vous si cela ne vous dérange pas. Sauve qui peut le court-métrage et Ciclic sont de prestigieuses institutions ! Quels sont les postes que vous exercez ou que vous avez exercés au sein des deux organismes ? Et pourquoi vous être tournée vers le court-métrage aux balbutiements de votre carrière ?

Fanny Barrot : Bonjour Estelle, merci de votre invitation. Étant originaire d’Auvergne, je fréquente le Festival International du court-métrage de Clermont-Ferrand depuis le lycée ! J’ai effectué mon premier stage professionnel au sein de l’équipe du festival, au Pôle d’éducation aux images. J’ai ensuite intégré l’Agence Ciclic également du côté de l’éducation aux images en travaillant pour le dispositif Passeurs d’images. Par la suite, toujours à l’Agence Ciclic, j’ai travaillé pendant plus de 10 ans à l’accueil de tournages sur le territoire régional puis autour du soutien à l’émergence de nouveaux talents. Depuis 2019, j’ai intégré l’équipe de Sauve qui peut le court-métrage sur des missions de soutien à la création et des projets d’éducation innovants.

Le court-métrage est un laboratoire de création passionnant qui permet aux artistes de s’exprimer sans carcan. Il n’est pas rare de voir des réalisateurs aguerris, parfois passés au long, qui continuent de faire du court, par goût, par urgence aussi parfois. Il s’agit également d’un espace qui permet aux jeunes (ou moins jeunes) professionnels de débuter leur carrière et souvent de créer des « familles » de travail qui perdureront. J’aime l’esprit de liberté de ce format et sa capacité à laisser ouvert le champ des possibles.

Estelle : En quelques 40 ans d’existence, le Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand a pris la tête de file des festivals de courts dans le monde. C’est même le deuxième festival de cinéma en France après Cannes. Qu’est-ce qui, selon vous, lui a donné ses lettres de noblesses ?

Fanny Barrot : Au festival du court de Clermont (hors temps de Covid) la programmation est très dense avec les compétitions (nationale, internationale et labo), des rétrospectives, des programmes thématiques… et des propositions tout autour des films, des expos, des actions d’éducation aux images, des rencontres pro et/ou festives…

De plus, le festival et son marché du film sont intimement liés, ce qui crée une énergie toute particulière où réalisateurs, public amateur, étudiants, professionnels du court se retrouvent dans des espaces dédiés au cinéma et plus particulièrement au court-métrage. Ici, pas de hiérarchie dans les spectateurs ou les participants, tout le monde est ensemble dans les files d’attente !

Estelle : La vidéo de présentation du festival figurant sur le site nous apprend que 8000 projets sont parvenus dans vos locaux l’année dernière. Sur ce nombre record, l’équipe, nous dit-on, en a sélectionné 400. Si l’on additionne les heures de visionnage à votre expérience de terrain, vous devez avoir un regard critique sans équivoque. Sans nous dévoiler tous vos secrets, quels sont vos critères personnels de sélection que ce soit pour choisir les projets du festival ou au sein de la commission ?

Fanny Barrot : A mon sens, le critère d’appréciation le plus évident sera surtout la qualité générale du film. C’est un peu bateau comme réponse mais c’est certainement le plus objectif ! J’ajouterai qu’il est nécessaire de laisser chez soi ses goûts personnels en matière de cinéma. Je ne suis pas une grande fan des films policiers mais je pense être en mesure d’apprécier un film de ce genre pour ses qualités cinématographiques même s’il ne me plait pas à titre personnel. Plus concrètement, je vais bien sûr m’intéresser à une mise en scène au service de la narration, au jeu des comédiens (ou à la direction d’acteurs, c’est une question de point de vue), à une photographie cohérente avec l’ambiance… et petite touche personnelle, je suis particulièrement attentive à l’écriture scénaristique des films.

Estelle : Je ne peux que vous rejoindre sur ce dernier point ! Ces critères de sélection sont-ils les mêmes pour tous les genres et toutes les durées, que le film dure une minute ou de cinquante-neuf minutes, qui sont - je crois - les formats acceptés pour participer au Festival ?

Fanny Barrot : Tous les films sont vus avec le même regard et surtout discutés selon les mêmes appréciations. Une œuvre existe ; qu’elle dure quelques minutes ou presque une heure. Tous les genres sont acceptés, chacun avec leurs singularités et leurs codes propres, les films ne sont pas comparés, mis en concurrence, mais plutôt appréciés individuellement pour leurs qualités et défauts intrinsèques.

Estelle : A contrario, quelles sont les faiblesses ou les maladresses les plus communes que vous rencontrez ?

Fanny Barrot : Certains écueils peuvent être assez récurrents comme l’envie d’un auteur de trop en dire, de ne pas laisser de place à l’expérience du spectateur en surlignant les choses : les dires et les montrer en plus… c’est souvent contre-productif…

L’image animée à cette force de pouvoir convoquer plusieurs sens, le regard bien sûr mais également l’ouïe et souvent cet aspect-là est un peu négligé dans les œuvres courtes. Le son, les voix, la musique sont autant d’éléments qui contribuent à nourrir le spectateur dans sa réception de l’œuvre. Mais, comme pour les images, à trop en mettre on peut aussi gâcher le film. Finalement, tout est une histoire de dosage et de parti pris. Je parle souvent du point de vue dans les œuvres. A partir du moment où celui-ci est affirmé et assumé, beaucoup de choses peuvent se produire dans la réception du film. On doit savoir qui nous parle et pourquoi. Aux élèves que je suis, je leur demande d’argumenter leurs choix, bien sûr, mais aussi de savoir pourquoi ils vont faire un film plutôt qu’écrire un livre par exemple.


Certains écueils peuvent être assez récurrents comme l’envie d’un auteur de trop en dire, de ne pas laisser de place à l’expérience du spectateur en surlignant les choses : les dires et les montrer en plus… c’est souvent contre-productif…

Estelle : Au vu des succès des films d’animation en festivals et en commissions, j’ai entendu des producteurs de films plus traditionnels avouer leur désir de se mettre à développer des projets du même genre par stratégie ; même si le scénario du projet manque de solidité. Je ne peux pas leur donner tout à fait tort tant il est vrai que l’on peut parfois remettre en question la qualité narrative de certains projets commissionnés (c’est une remarque d’ordre général). Pensez-vous qu’il existe des modes ? Et pensez-vous que la qualité de l’histoire est parfois relayée au second plan au détriment d’autres facteurs ?

Fanny Barrot : En ce qui concerne l’animation, le coût de fabrication d’un film animé est tellement élevé que cela peut freiner les ardeurs de nombreux producteurs. Les savoir-faire nécessaires sont également tout à fait particuliers, on ne produit pas une animation comme une fiction ou un documentaire…

Sur le sujet des scénarios de films d’animation, je pense personnellement qu’il ne faut pas négliger le fond au service de la forme. Une prouesse technique peut mettre en avant les qualités d’un animateur mais ne fera pas une œuvre réussie pour autant. S’il n’est pas nécessaire de réaliser des films narratifs - l’animation expérimentale est très riche - je crois qu’on ne peut proposer aux spectateurs des œuvres « prétextes ». La preuve en est, par exemple, à l’école de la Poudrière à Valence où sont formés des réalisateurs de films d’animation avec une partie du cursus dédiée à l’écriture.

Je ne sais pas si l’on peut parler de mode de l’animation mais il est certain que la France a un savoir-faire en films animés reconnu internationalement tant en animation traditionnelle qu’en animation par ordinateur.

Estelle : Le court-métrage est une belle porte d’entrée dans le milieu du cinéma que l’on soit auteur, producteur, réalisateur, voir même distributeur. Quels sont les atouts à se lancer dans la conception et la réalisation d’un court-métrage ?

Fanny Barrot : Il me semble que c’est l’occasion de tester des choses qu’elles soient dans l’écriture ou dans la technique. On peut expérimenter. Faire un film, c’est toujours risqué mais le court-métrage permet de fabriquer une œuvre de façon moins contraignante qu’un format long. Je parle ici de contraintes financières bien entendu mais pas seulement, les moyens humains sont réduits, les temps de tournages aussi… En plus, aujourd’hui, on peut faire un film avec des moyens techniques presque à la portée de tous, ce qui permet aussi à des personnes d’accéder à la fabrication d’œuvres de qualité en auto-production alors que cela était beaucoup plus complexe il y a quelques années.

En puis, faire du court peut aussi constituer une carte de visite pour « draguer » des producteurs pour des œuvres à venir. Certains proposent à des talents qu’ils ont repérés, sur des premières œuvres en festival par exemple, de faire un court pour les tester avant de leur confier la réalisation d’un long.

Pour les métiers techniques et de la production, le court est également le moyen de se professionnaliser et de constituer un réseau.

Estelle : La prochaine édition du ISFF aura lieu en janvier-février 2021. Au vu des circonstances actuelles liées au Covid, pouvez-nous dire comment le festival et le marché seront affectés ? Ce qui va changer pour les spectateurs et les professionnels ?

Fanny Barrot : Tout cela est en construction. L’équipe a récemment publié un communiqué concernant le festival. Toutes les informations sur la prochaine édition sont diffusées sur nos réseaux au fil de l’avancée de nos travaux. Concernant le marché du film, l’édition 2021 sera une édition online. Je vous invite à aller régulièrement sur le site clermont-filmfest.org et suivre clermontfilmfest sur les réseaux sociaux ;).

Estelle : Je crois beaucoup au pouvoir de l’inspiration que peuvent générer les films déjà existants. Aussi, pour inspirer les auteurs et les producteurs qui nous lisent, pourriez-vous partager quelques-uns de vos court-métrages préférés (sélectionnés au festival ou en dehors) et nous expliquer pourquoi ils figurent parmi vos préférences ?

Fanny Barrot : J’ai un peu le syndrome de la bougeotte en ce qui concerne mes courts préférés… mais dans mes courts de cœur, petites madeleines, reviennent souvent : 37°4 d’Adriano Valerio, Acide de Just Philippot (son premier long métrage La nuée devait sortir le 4 novembre, il faudra attendre encore un peu pour le voir en salle mais il est top !), Le Marin masqué de Sophie Letourneur (énorme a aussi fait un petit carton au cinéma récemment) …

Plus récemment, mes coups de cœur 2020 : Electric Swan de Konstantina Kotzamani, un petit bijou d’inventivité, Genius Loci d’Adrien Mérigeau ou encore Raout Pacha d’Aurélie Reinhorn pour n’en citer que trois.

Et toutes les pépites que l’on visionne actuellement pour l’édition 2021 du Festival ;) !

Estelle : Merci Fanny pour le temps accordé à cette interview. Il nous tarde de découvrir les pépites du festival !

💫 Pour aller plus loin….

  • Participer au festival. Quant à vous, auteur, producteur, réalisateur, si vous souhaitez participer au festival de court-métrage de Clermont-Ferrand qui aura lieu du 29 janvier au 06 février 2021, n’hésitez pas à vous rendre sur le site en cliquant ici. Le Marché du film court aura lieu, quant à lui, du 01 au 04 février 2021. Pour rester informés, n'hésitez pas à suivre l'évènement sur les réseaux en cliquant ici :

  • Suivre le festival sur Twitter : @Clermont_Court

  • Suivre le festival sur Instagram : clermontfilmfest

  • Ecrire de meilleurs courts-métrages : par ailleurs, si vous avez besoin d’une dose d’inspiration encore plus forte, n’hésitez pas à vous rendre sur le site d’Arte qui a mis à disposition du public les court-métrages les plus emblématiques de la non moins emblématique émission Court-circuit ! Vous pouvez aussi visiter le site de La Maison du Film qui fourmille d'informations. Enfin, n'oublions pas le CNC qui propose des aides au court-métrage ou encore cet article écrit par mes soins pour vous aider à mieux écrire vos courts !

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